Exercices de rêverie ...

Publié le 22 Février 2016

 

 

On a beau marcher à pas prudents – car on ne sait pas trop ce que peut receler de dangers le chemin des phrases qu'on suit, et qui bifurque –, il arrive qu'on trébuche sur un mot. Le plus souvent on se relève aussitôt sans grand dégât sinon un peu de poussière d'encre aux mains et aux genoux. Mais ce jour-là, avançant paisiblement dans la lecture qui s'ouvrait, je tombai entre deux phrases dans un blanc qui s'était creusé soudain, comme une fissure, et qui élargissait ses lèvres à toute allure. Me tourner vers l'une ou l'autre des parois qui s'étaient formées, pour m'y agripper et tenter de remonter sur la page à la force du poignet, n'était déjà plus possible. Je tombai maintenant en chute libre dans le silence, hors des mots, tandis que je voyais encore, mais loin, la page que je lisais déployée comme un ciel lumineux brouillé de caractères obscurs. Il ne me restait qu'à me laisser glisser dans cette chute, à l'accepter, à l'accompagner jusqu'à son terme, s'il existait. Tous les mots m'échappaient. J'essayai de me souvenir de l'un d'eux tandis que le ciel aux caractères maintenant minuscules, indéchiffrables, s'élevait de plus en plus haut.

Savais-je encore mon propre nom? Cependant je parvins à saisir au vol un livre dans le gouffre où je descendais, qui était – je m'en rendais compte à présent – une bibliothèque en forme d'entonnoir. Toujours en apesanteur, je l'ouvris au hasard et m'efforçai d'en lire quelques phrases. J'épelai les premiers mots que je finis par comprendre et me retrouvai par miracle dans mon fauteuil, un livre ouvert sur les genoux. Il était trois heures. La pluie battait les fenêtres. Je connaissais de nouveau mon nom. Mais je savais qu'à tout moment je pouvais de nouveau glisser dans cet abîme d'où l'on ne voit plus que le revers des mots.

 

 

 

Que faire d'une émotion encombrante ?

       Sous le coup de l'émotion, inutile de rien entreprendre pour la chasser : ce serait pire. Le plus sage est de la laisser suivre son chemin, fût-il douloureux. Ce n'est que lorsqu'elle n'est plus tout à fait chaude qu'on choisira de commencer précautionneusement à l'approcher. On peut alors intervenir pour l'enkyster puis l'expulser. Certaines exigent l'écriture, qui les vitrifie aussitôt. 

Une fois gelée dans sa masse de verre, on place l'émotion au creux de sa paume et on la regarde sans danger de toutes ses faces. Comment une chose aussi infime a-t-elle bien pu causer tant de douleur ? Mais un simple caillou glissé dans la chaussure empêche de marcher. Ce n'est pas un caillou, pourtant, mais une sorte de pierre précieuse dont le prisme disperse de magiques reflets : une fois cristallisée, la souffrance est belle. Elle ne causera plus aucun mal. On peut la conserver un moment, en manière de relique, sur sa table de travail, au milieu des livres et des stylos. Chaque regard qu'on pose alors sur elle persuade qu'elle n'a plus aucun pouvoir.

Alors on la range dans un tiroir ou on la jette (il vaut mieux la jeter).

Gérard Farasse, Exercices de rêverie 

 

ou on la re-sculpte sur le mur du son …....

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par hyboux

Publié dans #poésie, #Mots imagés

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